
Travaille bien à l’école : pourquoi les diplômes ne garantissent plus l’emploi
Nous entendons cette phrase depuis notre enfance : « Travaille bien à l’école, tu auras un bon job ». Cette promesse, transmise par nos parents et enseignants, semble aujourd’hui relever davantage du mythe que de la réalité. Comme consultant ayant accompagné des centaines de jeunes diplômés, j’observe une déconnexion croissante entre le monde académique et le marché du travail. Selon l’INSEE, en 2024, près de 23% des diplômés de master mettent plus d’un an à trouver un emploi correspondant à leur niveau d’études. Ce phénomène nous interroge sur la valeur réelle des diplômes dans notre société actuelle.
La désillusion des diplômés face au marché du travail
Le parcours académique traditionnel nous a longtemps été présenté comme le chemin royal vers l’emploi stable et valorisant. Nombreux sont ceux qui ont suivi cette voie avec conviction, enchaînant les diplômes pour se retrouver finalement face à une réalité bien différente. Nous constatons que l’équation “diplôme prestigieux = emploi de qualité” ne fonctionne plus automatiquement.
L’histoire de nombreux jeunes diplômés illustre parfaitement cette situation. Après avoir obtenu un ou plusieurs masters, ils se retrouvent souvent dans des positions précaires ou sans rapport avec leur formation initiale. Le paradoxe est troublant : trop qualifiés pour certains postes, pas assez expérimentés pour d’autres. Cette situation crée une double frustration chez ces jeunes qui se sentent piégés dans un entre-deux professionnel.
L’une des raisons majeures de ce décalage réside dans la multiplication des diplômés de l’enseignement supérieur. Entre 2000 et 2023, le nombre de titulaires d’un master a augmenté de 68% en France, créant mécaniquement une dévaluation relative de ces diplômes. Cette inflation diplômante engendre une concurrence accrue pour des postes qualifiés dont le nombre n’a pas augmenté proportionnellement.
Les facteurs d’une équation professionnelle déséquilibrée
Plusieurs éléments expliquent pourquoi le diplôme n’est plus le sésame qu’il était autrefois sur le marché du travail :
- La multiplication des filières spécialisées créant des niches professionnelles parfois saturées
- Le décalage entre les compétences enseignées et celles recherchées par les employeurs
- La valorisation croissante de l’expérience professionnelle au détriment du parcours académique
- L’évolution rapide des métiers rendant certaines formations rapidement obsolètes
- La réticence des recruteurs à embaucher des personnes “surdiplômées” pour des postes intermédiaires

Ce dernier point mérite une attention particulière. Nous remarquons que la surqualification peut paradoxalement devenir un handicap dans certaines situations de recrutement. Les employeurs craignent souvent qu’un candidat trop diplômé ne quitte rapidement son poste pour une meilleure opportunité, ou qu’il se sente frustré par des responsabilités jugées insuffisantes.
La spécialisation excessive de certaines formations constitue également un facteur limitant. Dans un monde professionnel qui valorise de plus en plus la polyvalence et l’adaptabilité, des diplômes extrêmement pointus peuvent enfermer leurs détenteurs dans des cases trop étroites, réduisant paradoxalement leur employabilité globale.
Le paradoxe des compétences recherchées
Le tableau suivant illustre le décalage entre les compétences traditionnellement valorisées par le système éducatif et celles recherchées prioritairement par les recruteurs en 2025 :
| Compétences académiques valorisées | Compétences recherchées par les recruteurs |
|---|---|
| Connaissances théoriques approfondies | Capacité d’adaptation et d’apprentissage rapide |
| Excellence disciplinaire | Polyvalence et vision transversale |
| Maîtrise des méthodologies de recherche | Résolution de problèmes concrets |
| Analyse critique | Intelligence émotionnelle et soft skills |
Vers une nouvelle approche de l’employabilité
Face à cette réalité, nous devons repenser notre rapport aux études et à l’insertion professionnelle. Il ne s’agit pas d’abandonner la formation académique, mais de l’intégrer dans une stratégie plus large de développement professionnel. L’expérience acquise au contact des jeunes diplômés nous montre que les parcours hybrides combinant études et expériences professionnelles offrent généralement de meilleures perspectives d’insertion.
Les stages, l’alternance, les projets collaboratifs avec des entreprises ou même les années de césure dédiées à des expériences professionnelles constituent des atouts majeurs. Ces dispositifs permettent de développer les compétences comportementales (ou “soft skills”) tant recherchées par les recruteurs : travail en équipe, communication, résolution de problèmes, adaptabilité…
Nous observons également l’émergence de nouveaux modèles de réussite professionnelle qui ne suivent pas nécessairement le schéma traditionnel. L’entrepreneuriat, le freelancing ou les parcours pluridisciplinaires témoignent d’une diversification des voies d’accès à l’emploi qualifié. Ces alternatives méritent d’être davantage valorisées auprès des jeunes.
Avec mon expérience de professionnels de l’accompagnement, nous devons encourager une vision plus ouverte et moins linéaire des trajectoires professionnelles. La formation continue et la capacité à se réinventer deviennent des compétences essentielles dans un marché du travail en constante évolution. L’adage pourrait être reformulé ainsi : « Apprends à apprendre tout au long de ta vie, et tu construiras ton propre chemin professionnel ».
Reconstruire le lien entre formation et emploi
Pour réconcilier diplômes et employabilité, plusieurs pistes méritent d’être visitées. D’abord, un rapprochement plus étroit entre les institutions éducatives et le monde professionnel permettrait de mieux aligner les formations sur les besoins réels du marché. Ensuite, une valorisation accrue des compétences transversales et comportementales au sein des cursus académiques préparerait mieux les étudiants aux attentes des employeurs.
Il s’agit également d’accompagner les jeunes dans une compréhension plus nuancée de la réalité professionnelle. Le diplôme reste un atout précieux, mais il ne constitue qu’une pièce du puzzle de l’employabilité. Les expériences personnelles, l’engagement associatif, les compétences développées en dehors du cadre académique sont autant d’éléments différenciants sur un marché concurrentiel.
Finalement, c’est peut-être notre rapport même au travail qu’il faut questionner. La promesse “travaille bien à l’école, tu auras un bon job” suppose implicitement qu’un “bon job” se définit uniquement par son prestige ou sa rémunération. Or, nous savons aujourd’hui que l’épanouissement professionnel dépend de nombreux autres facteurs comme l’alignement avec nos valeurs, l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle ou le sentiment d’utilité. Préparer les jeunes à construire leur propre définition de la réussite professionnelle constitue peut-être un des plus le plus grands défi éducatif actuel.





